Du fond de notre confinement, les élèves du master CTN vous saluent. Vous devez sans doute aussi connaître ce moment de flottement où vous effectuez (ou plutôt tentez d’effectuer) vos activités quotidiennes bien installés sur votre canapé ou à la table du salon. Adieu les transports et les sorties, merci au COVID-19 et bonjour télé-travail et Netflix&chill. De nouvelles habitudes qui avaient déjà émergé ces dernières années mais ont pris une toute autre dimension avec les mesures de confinement.
On est bien à la maison… n’est-ce pas ?
Comme la majorité d’entre vous, notre promotion est à domicile. Au passage, un petit hommage à ceux qui n’ont pas d’autre choix que de sortir pour travailler, nous soigner, nous nourrir et nous sauver, il faut bien le dire. Parce que le mythe de l’automatisation entière de la société est encore bien loin, seule une partie de la population peut se permettre de vaquer à ses occupations à distance. Les autres font soit partie des travailleurs « indispensables » des domaines du médical, de l’agro-alimentaire ou de la santé, ou sont des commerçants ou des artisans qui n’ont pas uberisé leur travail et attendent avec inquiétude la reprise de leur activité.
Cette mise au pas forcée de notre société a cependant rappelé que les pays occidentaux ont une main d’œuvre essentiellement tertiaire dont le travail est aujourd’hui en grande partie associé aux technologies numériques. Les questions du travail et de l’activité économique cristallisent cette réflexion autour de la mise à distance des individus pour contenir l’épidémie. Il n’empêche qu’une grande partie des activités humaines sont concernées par le confinement et par les alternatives numériques mises en place pour les poursuivre ou s’y substituer.
C’est donc là qu’intervient la réflexion sur une société qui n’aurait plus besoin de transports, de déplacements ou de contacts directs pour fonctionner : la « télé-société ».
Télé-tout
Petit point d’étymologie : le préfixe “télé”, que l’on retrouve dans de nombreux mots français, vient du grec et signifie distance, lointain, etc. En communication, ce préfixe est fondateur pour comprendre les interactions non verbales, les conversations qui ne se tiennent pas en face à face. Le mythe de la télépathie permet d’imaginer ces interactions à l’heure où les moyens d’interagir à distance sont rudimentaires et non simultanés. L’arrivée des technologies de communication fait exploser l’usage du préfixe : télégraphe, téléphone, télévision, télécommunications, etc. Délaissé au profit de termes anglicisés, il est largement moins employé pour les technologies numériques, malgré les efforts des conservateurs de la langue française.
L’usage des technologies numériques s’est accompagné d’une évolution à l’échelle des sociétés : le rapport aux distances et au temps nécessaire pour les franchir ou transmettre des informations a été bouleversé. A quelques exceptions près, envoyer un message en Australie n’est pas plus long que de l’envoyer à la personne juste à côté de soi. Certains domaines ont déjà connu une révolution complète, sans qu’un retour en arrière ne soit envisageable. Très peu de personnes font encore l’effort de se déplacer pour ordonner un virement bancaire, déclarer leurs revenus au fisc, réserver un vol ou souscrire à un abonnement de téléphone. Certains domaines d’activités ont en effet connu une transition radicale et proposent aujourd’hui quasi-exclusivement des télé-services, essentiellement sous la forme de plateformes web. Les opérateurs télécoms, les banques, les assurances, et même les administrations fonctionnent à distance de leurs clients ou usagers. Leurs services aux particuliers sont très peu remis en cause par le risque d’épidémie.
Ce passage vers un fonctionnement à distance est moins complet lorsqu’il s’agit du commerce par exemple. Les services de ventes en ligne cohabitent avec les magasins physiques et n’ont pas réussi à cannibaliser l’intégralité du marché. Les acteurs du commerce en ligne proposent plus souvent une offre complémentaire des commerces traditionnels qu’une alternative complètement satisfaisante. Il n’empêche que le commerce en ligne est à l’heure actuelle une solution très pratique pour faire ses achats en période de confinement. On peut se faire livrer des courses, des livres, ou des objets électroniques sans prendre le risque de sortir, cela sans prendre en compte les personnes en charge de la livraison évidemment. Dans les centres urbains confinés, les applications de livraison de repas comme Uber Eats ou Deliveroo tournent à plein régime.
Pas de soucis, je suis connecté.e
Les loisirs sont eux aussi complètement décorrélés de la notion de distance. A condition de disposer d’une connexion Internet, vous disposez de milliards d’heures de vidéos : films, séries, documentaires, spectacles et pièces de théâtre peuvent être visionnés en ligne. Des vidéos YouTube en tous genres vous expliquent comment cuisiner, pratiquer tel ou tel sport chez vous, ou encore comment soigner vos plantes d’intérieur. Les jeux vidéos vous permettent de vous mesurer à des compétiteurs en ligne si vous n’avez pas de partenaire avec vous. Il n’y a jamais eu autant d’alternatives aux loisirs sociaux que sur votre PC personnel. Des nouvelles propositions ont même émergés sous la contrainte du confinement. Les « apéros Skype » pour retrouver vos amis autour d’un verre, ont la cote. Si vous avez envie de partager vos impressions sur le dernier épisode de votre série préférée, l’extension « Netflix party » proposée sur Chrome vous permet de discuter en direct avec vos amis qui regardent la même chose. Des soirées de type « night club à distance » ont même été lancées en Chine pendant le confinement pour répondre à l’envie de danser que certains éprouvaient.
La créativité permise par les outils numériques continue de s’étendre dans certains domaines où il est encore très difficile d’imaginer qu’un service puisse être complètement transféré sur des plateformes numériques. A défaut de cours, les écoles, collèges, lycées et universités proposent des cours en ligne à leurs élèves. Cette solution a déjà été développée pour certains cas particuliers : diplômes à distance, absence récurrente d’un élève ou d’un professeur, ou classes dispensées par visio-conférence surtout pour les classes supérieures surchargées à l’université. A grande échelle, il semblerait que cette solution remplace difficilement l’apprentissage en classe et notamment la présence physique d’un professeur. A la télé-école s’ajoute aussi la télé-médecine. Déjà utilisée dans les déserts médicaux, cette solution permettant le diagnostic d’un patient à distance, est évidemment la panacée des soins en cabinets médicaux ou en hôpital, mais dont la surcharge menace de faire plier le système de soin.
#ResterChezVous
Le confinement met sur le devant de la scène des télé-services, qui étaient soit rentrés dans les usages, soit en phase très peu avancée de développement. Mais la règle du « rester chez vous » nous amène à reconsidérer beaucoup de barrières qui ont été opposées à de telles solutions. Pour beaucoup d’entreprises, le télé-travail devient le moyen de maintenir l’activité et l’adaptation des modes de travail et des cultures d’entreprise se fait à marche forcée, là ou des années de transition n’auraient pas autant eu de poids. La « télé-société » ne semble aujourd’hui pas si inaccessible. Après tout, la question se pose : pourquoi faire l’effort de sortir de chez soi quand tout est à portée d’écran ?
Si nous sommes prêts à considérer pour une période limitée la possibilité de vivre à distance et d’exercer nos activités quotidiennes au travers des écrans, est-ce envisageable sur le long terme ? Les outils numériques ont élargi les sources de socialisation, mais le contact direct avec d’autres individus au travail, à l’école ou dans notre quartier reste incontournable. A l’échelle individuelle, le contact direct, physique aux personnes en-dehors du foyer est primordial. A l’échelle de la société, le confinement semble très peu viable sur la durée. Les fortes inquiétudes qui pèsent sur la santé économique de nos sociétés en sont le premier motif. Il s’agit aussi de considérer que tout le monde ne peut pas rester chez soi même dans une télé-société. Les livreurs ou les employés de supermarchés qui vous permettent aujourd’hui de manger ne sont pas encore des robots et ne sont pas remplaçables. Les métiers de la santé ou du paramédical sont aussi concernés par une problématique qui va au-delà de la qualité des soins médicaux au sens traditionnel du terme : le concept de « care » permet de réfléchir à l’apport indispensable qu’un soignant, comme être social, associe à l’acte effectué.
Une bonne épidémie, et ça repart… ?
La réponse actuelle au coronavirus, décidée par les gouvernements de pays touchés, est la prise de distance par l’accroissement des usages numériques. Si cette solution amène à penser des problèmes soulevés plus haut, des bénéfices ont aussi pu être observés : la diminution des émissions polluantes en Chine a notamment beaucoup fait discuter. De même, la prise de conscience des enjeux sanitaires et de la fragilité de nos sociétés très peu préparées aux épidémies permet d’espérer que les services de soin et les ressources seront réorganisés dans le sens d’une plus grande résilience face à ce danger. Certains cyniques vous diront même que les épidémies sont la solution au problème de la surpopulation de la Terre et de la surconsommation des ressources.
Le changement des pratiques a des conséquences qui vont au-delà des coûts économiques et environnementaux. La solitude et l’isolement, le confinement de familles, les mouvements de panique et d’angoisse qui sont provoqués par les mesures décidées dernièrement ne doivent pas être négligés. Et seront difficilement pris en charge par votre smartphone.
Par Valentine David