Carlos Ghosn : carburant pour les médias

Carlos Ghosn : carburant pour les médias
Crédit : Zerpsed

Ce 30 décembre 2019, nous apprenions que l’ancien PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, avait violé son contrôle judiciaire et fui le Japon où il était assigné à résidence depuis avril 2019. Il faut dire que les 130 jours de détention et les plateaux-repas de la prison n’ont pas vraiment réussi à le convaincre de rester en terre nippone. Des conditions de détention qui vont même jusqu’à émouvoir le président Emmanuel Macron qui a indiqué à plusieurs reprises au Premier ministre japonais, Shinzo Abe, que ces conditions ne lui « paraissaient pas satisfaisantes ».

Aujourd’hui, Monsieur Ghosn est poursuivi pour quatre chefs d’accusation parmi lesquels se trouve l’abus de confiance et la sous-évaluation de ses revenus. Des accusations pourtant graves mais que la romance médiatique née de son évasion nous ferait presque oublier. 

En effet, depuis son évasion, de nombreux médias présentent l’affaire Carlos Ghosn comme une histoire romanesque à se demander si ces derniers traitent d’une affaire judiciaire ou bien du dernier film d’action sorti en salle mercredi dernier. « Quelle épopée », « un Monte Christo des temps modernes », « rocambolesque », « spectaculaire », les expressions et adjectifs employés par les médias français reflètent indéniablement la part de fascination que l’affaire Carlos Ghosn nourrit chez eux. Or cette complaisance médiatique est particulièrement regrettable à l’heure où la profession a déjà souffert avec l’affaire Dupont de Ligonnes à l’automne dernier. Celle-ci nous interroge sur la relation presque maladive qu’entretiennent les médias avec le fait divers. À cheval entre le divertissement et la réalité, le fait divers et le traitement qui lui est réservé  semble être devenue la nouvelle monnaie d’un pseudo-journalisme. Cependant, force est de reconnaître que l’ancien empereur de l’automobile, a agi avec beaucoup d’habileté dans la construction de sa propre légende, maîtrisant parfaitement les codes de la communication moderne. 

Si Monsieur Ghosn était resté bien silencieux, plongé dans une forme de mutisme, depuis son retour au pays le 30 décembre 2019, ce dernier avait pourtant bien envie de parler et attendait simplement de « pouvoir parler librement aux médias ». Ce silence n’a, en réalité, qu’amplifié l’excitation des médias autour de l’affaire qui contient plus de rebondissements que dans les 16 saisons réunies de Plus Belle La Vie. Sa conférence de presse, tenue le 8 janvier 2020, a ainsi inauguré en grande pompe (mais pas comme à Versailles tout de même), le bal médiatique consacré à l’affaire. 

Théâtral et émouvant, partageant les difficultés de sa détention, l’impossibilité de joindre sa femme, Carlos Ghosn a presque suscité la compassion lors de sa conférence, chez son auditoire. Si le show médiatique avait commencé ce 8 janvier, celui-ci était bien loin d’être terminé. Quelques heures après ces deux heures de déclaration, Carlos Ghosn s’est prêté à un autre exercice : celui de l’entretien exclusif d’une vingtaine de minutes, faisant le plus grand bonheur de TF1 et LCI. Si rien de très croustillant n’a été apporté durant ces entretiens exclusifs, ils ont permis d’humaniser la figure de Carlos Ghosn et de faire naître une forme d’empathie pour la figure de l’ancien PDG de Renault-Nissan. 

Le formidable feuilleton médiatique ne s’est donc pas arrêté en si bon chemin puisque dès le lendemain, Monsieur Ghosn accordait un entretien à France Inter, tenu par Léa Salamé. « La malle ?, pas la malle …? », cette dernière a fait preuve d’une complaisance aveuglante et nous faisant regretter qu’Elise Lucet ne soit pas face à Carlos Ghosn lors de cet entretien. Carlos Ghosn ne révèle rien de très nouveau et reste muet face aux questions relatives aux conditions de son évasion, alimentant le mystère de celle-ci. 

La tournée des médias s’est poursuivie dans les bureaux de France 24, le jeudi 9 janvier dernier, où la nouveauté et l’exclusivité n’étaient pas conviées. Cependant, c’est au Figaro, que Carlos Ghosn révélera vouloir poursuivre Renault aux Prud’hommes, ouvrant un nouveau volet dans l’affaire médiatique. Plus tard, le 13 janvier, dans une interview accordée à Sonia Mabrouk sur Europe 1, il a laissé entendre qu’il entreprendrait une action judiciaire contre les dirigeants de Nissan qu’il accuse d’avoir tenté de le faire tomber. Enfin, c’est sur le plateau de C à Vous, que Carlos Ghosn est apparu aux côtés de son épouse, sa « lionne », donnant la juste dose de people et d’eau de rose à l’affaire. 

Preuve supplémentaire de cet engouement médiatique : la publication le 3 janvier par le quotidien le Monde, d’un article affirmant que Carlos Ghosn aurait signé une exclusivité en vue d’un film produit pour Netflix sur sa propre histoire. Si, l’information a été démentie dès le lendemain, cette précipitation journalistique autour du moindre rebondissement, apparaît comme le reflet d’un journalisme de surface, ne laissant plus de place à l’investigation mais davantage à une culture du palpitant. Cette même précipitation journalistique donne lieu à une surabondance d’articles et entretient une confusion entre procès juridique et médiatique. La noblesse du journalisme doit être restaurée et celle-ci apparait difficilement compatible avec la forme de frénésie médiatique actuelle. 

Si  nous pouvons reprocher une complaisance effrontée aux médias français dans cette affaire, nous sommes néanmoins obligés de reconnaître le caractère inédit et spectaculaire de celle-ci. Cette fuite de Varennes des temps modernes pour le roi de la pègre, nous montre que celui-ci a parfaitement intégré les mécanismes de la communication parvenant même à obtenir le soutien de Jean Luc Mélanchon sur Europe 1. 

Enfin, il convient de noter qu’à défaut d’être loyal, Carlos Ghosn est inspirant pour les japonais puisque depuis quelques jours des internautes se photographient à l’intérieur de malles d’instruments de musique donnant naissance au  : « Carlos Ghosn challenge ».

Lisa Le Scornet

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