Digital labor ? Un anglicisme de plus dans notre très chère ère du digital qui n’évoque pas grand-chose. Si nous traduisons littéralement l’expression, nous obtenons “travail numérique”. Toutefois, cette expression ne concerne ni les nouveaux métiers du numérique, ni les industries en charge de la de fabrication de nos objets digitaux. Il s’agit tout simplement de l’ensemble de vos activités sur vos plates-formes sociales, sites web et autres applications mobiles préférées. Pour faire simple, si vous avez déjà publié une photo sur Facebook, félicitations, vous êtes un digital labor.
Le travail du clic
Cette affirmation peut vous paraître un peu confuse et pourtant selon Antonio.A Casilli, auteur du livre Qu’est-ce que le travail numérique ? (2015), elle reste très simple à expliquer. L’idée est d’imaginer un réseau social sans contenu, un Twitter sans tweet, un Instagram sans photos ou tout simplement un Airbnb sans logement mis à disposition. Si l’utilisateur ne fournit pas de contenu à ces plates-formes, leurs valeurs disparaissent. Et inversement, plus nous publions de contenu, plus nous augmentons la valeur monétaire d’une plate-forme. Ce fonctionnement du web permet de dégager des bénéfices colossaux en se basant sur la simple envie des utilisateurs de participer à son enrichissement. C’est d’autant plus vrai que les utilisateurs d’une plate-forme n’y sont présents que parce que leurs relations ou les « influenceurs » qu’ils suivent y produisent gratuitement du contenu qui les intéresse. C’est cet « effet de réseau » qui alimente l’audience et les bénéfices publicitaires des plate-formes sociales.
Mais le problème se trouve également dans cette observation : aucun utilisateur (ou presque) ne considère sa participation sur une plate-forme ou un réseau, comme une tâche. Au contraire, nous sommes plus sur une logique de loisir et de détente pour les utilisateurs qui alimentent et créent du contenu. Pour reprendre les propos de Casilli “C’est donc un travail qui ne dit pas son nom, et qui ne se reconnaît pas en tant que tel”.
Tout travail mérite salaire ?
Pourtant, nous sommes bien dans une production de valeur, que nous nous sentons parfois dans l’obligation de fournir. Nous voulons être présents en ligne et une certaine pression existe quand nous n’y sommes pas ou peu. Sans nous en apercevoir, nous rentrons dans une mécanique, où notre production est quantifiable et productrice de valeur. Nous fournissons un travail non reconnu, et même dans certains cas, précaires. Casilli prend l’exemple du Huffington Post qui refuse de payer certains blogguers qui ont participé à son développement et par conséquent, à sa valorisation lors de son rachat par AOL.
Nous comprenons que les frontières sont poreuses entre le travail et le loisir. D’où les difficultés à s’insurger réellement des pratiques de ces plates-formes. En tant qu’usagers, ces activités s’inscrivent dans nos habitudes, c’est un acte banal qui pourtant, permet l’amélioration des algorithmes et le regroupement de données importantes sur les utilisateurs. Il y a bien une production de bien matériel, qui permet le ciblage publicitaire ou l’optimisation des recherches Google. Toutes ces informations fournies par les utilisateurs permettent d’effectuer du ciblage ou du traçage publicitaire et représentent une véritable mine d’or pour les plates-formes digitales.
Ce travail qui ne dit pas son nom, est-il si scandaleux qu’il n’y parait ? Sommes-nous face à une exploitation des données et du contenu des utilisateurs ? Le digital labor entraîne de nombreux questionnements dus à sa nouveauté. Nous sommes face à une forme de travail qui n’est même pas reconnue comme telle par les personnes qui produisent cet effort. Toute une réflexion sur la création de données, la manière dont elles sont exploitées et les enjeux que cela représente, va de pair avec ce nouvel air du Big Data.
Célina Slim
Credit vidéo: Under Sharingmood