A la machine à café, dans les transports ou en soirée, les discussions sur les séries sont omniprésentes dans notre quotidien. A tel point qu’il faut faire preuve de la plus grande habileté pour éviter spoilers et disputes sur nos personnages préférés. Nous autres fans entretenons une relation passionnée aux séries, quitte à s’exprimer sur les réseaux sociaux quand le dernier rebondissement ne nous convient pas ! Ce nouveau type de rapport à la fiction sérielle, favorisé par les plateformes d’échange, interroge même le poids qu’ont aujourd’hui les communautés de fans sur la production des séries.
S’approprier l’univers : quand les fans ne se contentent plus d’être spectateurs
Les réseaux sociaux ont fait émerger des espaces privilégiés d’expression autour de centres d’intérêt divers, et des communautés fondées sur ces centres d’intérêt. La figure du fan, auparavant assimilée à spectateur qui pouvait envoyer du courrier à la chaîne de diffusion, et échanger sur ses films et séries préférés avec des amis, s’est radicalement transformée. Les plus adeptes se sont rassemblés dans des « fandoms », notamment autour de séries. En effet, le format dit feuilletonnant de ces fictions, dont le succès n’est plus à prouver au vu du chiffre d’affaires de Netflix, favorise particulièrement ce mode d’expression et d’appropriation qui est développé particulièrement sur des réseaux comme Twitter ou Reddit, ou encore sur des forums.
Il s’agit de sortir de l’espace diégétique de la série pour que le fan puisse faire revivre l’univers de la série, et ainsi y occuper une place, de même que tous les membres du fandom. Cette volonté de s’approprier la série et ses personnages passe par de multiples pratiques, bien loin du courrier des fans des années 80 pour Hélène et les garçons. Un des petits jeux favoris des fans consiste à relever une multitude de détails de l’intrigue, pour souligner les erreurs du tournage, ou encore mieux pour deviner la suite de l’intrigue. Des masses de théories plus farfelues les unes que les autres circulent sur les réseaux sociaux. Pour citer un exemple relativement récent, la saison 3 de la série Netflix Stranger Things s’est achevée en juillet dernier sur un cliffhanger déchirant à propos du personnage de Jim Hopper. A grands renforts de vidéos YouTube et de posts Twitter, les fans de la série se sont alors escrimés à relever le moindre indice pouvant les éclairer sur son sort dans le dernier épisode ainsi que dans le récent trailer de la saison à venir.
La puissance des réseaux : quand les fans ont leur mot à dire sur l’histoire
Les fans se réapproprient les codes de séries, en allant jusqu’à réécrire l’intrigue à leur convenance : les « fanfictions » consistant à réinvestir un univers fictionnel avec des récits écrits par des fans constituent une pratique importante pour les séries. Il s’agit de modifier un élément de l’intrigue, de développer certains personnages, voire même d’imaginer un couple qui n’existe pas dans la série originale. Le « shipping », nom de cette dernière pratique, de personnages comme Sherlock et Watson ou encore Fox Mulder et Dana Scully dans X-Files, est une pratique qui donne lieu à de nombreuses fanctions mises en ligne.
Ces pratiques amatrices de modifications ou de continuation de l’intrigue témoignent d’un renversement majeur : il n’est plus admis que l’écriture d’une série est aux mains de ses scénaristes et producteurs parce que les fans revendiquent désormais un droit de regard. L’attachement produit par le déroulement dans la durée de l’intrigue pour les adeptes de série, ainsi que la possibilité grandissante de maîtriser le visionnage des épisodes créé un rapport de plus en plus intime de fans envers leurs séries. Si le caractère sériel de ces fictions est donc un facteur majeur, de nombreuses évolutions liées au numérique sont au cœur de cette mutation : la diffusion non linéaire, la possibilité d’arrêter et de reprendre le visionnage, la sortie simultanée des épisodes d’une saison sur les plateformes de SVOD, etc. De plus, la possibilité d’interagir avec les producteurs, voire les acteurs d’une série sur les réseaux sociaux affecte aussi le lien entre fans et instances productrices.
Cela explique que de nombreuses interventions de fans incitent parfois les producteurs à modifier l’intrigue par rapport à leurs plans initiaux. La série Westworld, produite par HBO et diffusée en France sur OCS, a fait l’objet de modifications du script d’un des épisodes de la saison 2 parce que certains fans en avaient deviné le dénouement. Des propos de fans mécontents ont poussé les producteurs de How I met your mother à proposer une fin alternative à celle initialement diffusée.
La pétition : quand les fans se mobilisent
Si les propos tenus par les fans sur les réseaux peuvent avoir un impact sur les instances productrices, l’arme de fans la plus efficace pour des revendications semble être la pétition. Circulant en ligne, et signée par des milliers des personnes, la pétition est notamment utilisée pour sauver un personnage, comme celui de Derek dans Grey’s Anatomy, ou encore pour dénoncer un aspect de la série : une pétition concernant 13 Reason Why a poussé les créateurs de la série à mieux l’encadrer d’avertissements concernant le suicide pour sensibiliser son jeune public.
Mais l’effet le plus marquant des pétitions s’observe dans le cas de l’annonce de l’annulation d’une série. En effet, la programmation d’une saison suivante est conditionnée pour les producteurs et les diffuseurs aux audiences qu’elle réalise. Or, des communautés de fans ont tenté voire réussi à obtenir le maintien de la diffusion d’une série grâce à des pétitions. C’est le cas de Veronica Mars, Chuck, Lucifer ou encore Community, dont la diffusion a été rallongée d’une ou plusieurs saisons grâce à l’intervention de fandoms. Les fans de Sense8 ont obtenu la production d’un épisode final auprès de Netflix. Dernièrement, la pétition en faveur du maintien de la production de The OA n’a pas donné suite.
Ces exemples démontrent que la mobilisation des communautés de fans peut avoir, dans certains circonstances, un poids tel sur les instances productrices que les critères d’audience classiques de succès d’une série sont contournés pour respecter le vœu des fans. Du côté des créateurs ou des producteurs justement, ce renouvellement du rôle de fans au travers des nouvelles pratiques numériques peut représenter une forme de pression. Il semblerait cependant que cette influence soit relative.
Cependant, pour des séries très suivies comme Game of Thrones, les attentes des fans et les nombreuses théories nourries et diffusées en ligne sur les personnages représentent un défi pour Georges R. R. Martin, l’auteur des livres adaptés. Il n’est donc pas impossible de penser que la nouvelle figure du fan trace le nouvel horizon d’attentes créatives pour les créateurs et producteurs de série.
Article par Valentine David