L’extinction des feux à 23h a depuis longtemps été retardée par le petit logo rouge de Youtube. Sur nos téléphones, tablettes ou ordinateurs, nous errons tardivement dans la nuit, en quête de ce contenu divertissant capable de nous endormir ou d’éveiller des passions encore inexplorées. Youtube a même réussi à convaincre ton petit frère de devenir influenceur, ce métier que ta grand-mère a pourtant encore du mal à assimiler. Youtube est rentré discrètement dans nos quotidiens et [s’est fait une place d’enfer sur nos temps libres] a envahi notre temps libre. Nous nous dispersons toujours davantage et le terme même de concentration nous est devenu étranger. Bienvenue en 2019, date à laquelle notre capacité d’attention a été évaluée à 9 petites secondes. Mais comment Youtube parvient-il à capturer ce temps d’attention pourtant si mince ? Sommes-nous encore maître du temps consacré à ces plateformes numériques ?
Youtube : premier producteur de procrastination
Premier fait, Youtube est indéniablement le meilleur exploitant de notre paresse. Au même titre, que d’autres plates-formes de vidéos en ligne comme Netflix, Amazon Prime, Youtube lance automatiquement la lecture de nouvelles vidéos après le visionnage d’un contenu sur sa plateforme : c’est ce qui s’appelle « l’auto-play », très précieux pour Youtube. Cette impression de fuite en avant devant les vidéos qui défilent a même un nom : le « rabbit hole » littéralement « le terrier du lapin blanc », en référence à la chute d’Alice aux pays des merveilles. Si cet enrôlement devant le grand défilé des vidéos Youtube n’a rien de merveilleux il se rapproche bien du vide. Inactivité, inertie, paresse ou flemme intellectuelle : Youtube a remplacé la lecture papier et remisé au placard toutes les activités nécessitant un effort particulier.
Le principal accusé vers qui tout le monde pointe le doigt est bien évidemment le grand méchant algorithme Youtube, derrière lequel il est si facile de se placer comme victime. En effet, celui-ci dessinerait, de façon toujours plus pernicieuse, la manière de captiver notre attention et cela à nos dépends. Force est de reconnaître que les algorithmes du géant Youtube sont particulièrement intelligents, réussissant davantage à vous séduire que votre propre crush.
Algorithme et recommandation : les tentacules de Youtube
Voguant d’une vidéo à l’autre tel Jacques Cartier sur l’Atlantique, vous enchaînez les vidéos, vous faisant oublier votre détermination initiale à ne pas céder à la tentation. Alors voilà, il faut le reconnaître : une dépendance est née et celle-ci n’est pas des plus vertueuses. Mais cette indication est évidemment idiote si on ne comprend pas son origine.
70% des vidéos sont consultées par la recommandation. Aujourd’hui l’algorithme de Youtube est pensé de façon à nous faire réagir que cela soit par un like, un commentaire ou tout simplement par le temps de visionnage. C’est également en grande partie pourquoi Youtube privilégie les sujets polémiques, capables de diviser une audience en deux camps adverses. Attention, polémique mais pas trop, car aujourd’hui la politique de Youtube démonétise les vidéos comportant des contenus jugés trop choquants ou qui traitent de minorités dans la perspective de rester toujours attrayant pour les annonceurs.
Le taux de rétention, c’est à dire le temps passé sur la plateforme par les utilisateurs, est aujourd’hui pensé selon le « watch time », c’est à dire le temps passé sur une vidéo. Plus ce ratio est important, plus le contenu sera jugé pertinent et sera susceptible de se retrouver dans vos recommandations. L’enjeu reste inchangé : vous faire passer le plus de temps possible sur la plateforme et vous soumettre aux merveilleuses publicités de ses annonceurs, son fond de commerce. Une polémique en demi-teinte, un fort watch time additionnés à une description de vidéo plus alléchante que le menu de la cantine, voici la recette inimitable de Youtube.
Youtube : Royaume du divertissement mais pas que…
Mais serions-nous alors asservis au pire de ce qui existe au XXIème siècle en termes de média et de source d’information ? La réponse est évidemment non. En effet, nous devons ici rappeler que Youtube permet la démocratisation et la vulgarisation de nombreux sujets, qu’ils soient scientifiques, philosophiques ou politiques avec des youtubeurs comme Cyrus North, Dirty biology, Dans ton corps ou encore la chaîne de certains médias comme celle de Médiapart. Elle participe donc à la liberté d’expression et permet à n’importe qui de partager ses passions et d’en éveiller d’autres chez certains.
En effet, si les vidéos d’ASMR peuvent parfois vous laissez dubitatifs quant au sens poursuivi par la plateforme, nous devons admettre qu’elle participe à un mouvement de libéralisation des mœurs avec des sujets sociétaux importants qui y sont parfois soulevés. L’expression de la communauté LGBT, le harcèlement sexuel, scolaire ou encore la retransmission de grands moments politiques sont ainsi abordés. Youtube n’est donc pas le cimetière de notre esprit critique mais davantage le palace de toutes les curiosités.
Lisa LE SCORNET
