Depuis les années 2000, le marketing digital a vu le jour et le marché du lead n’a cessé de se développer. Le marché du quoi ? Qu’est-ce qu’un lead ? Que se cache-t-il derrière cet anglicisme ? Littéralement, il s’agit d’une piste, quelque chose ou quelqu’un que l’on peut suivre à la trace. Le lead, c’est un prospect sur Internet pour lequel un projet d’achat a été identifié. Ce client potentiel a fourni des informations permettant d’estimer son potentiel de transformation en client final. Les commerciaux disposent d’assez d’informations pour le recontacter et vont pouvoir tenter de le convertir en client.
C’est vraiment légal ?
L’exploitation marchande des données personnelles est devenue un élément-clé de l’économie numérique. Des entreprises se sont spécialisées dans la vente de leads et vont donc tout faire pour collecter vos données personnelles. La monétisation de ces données est la principale raison d’existence et la source de revenu de ces sociétés. Le monde du lead, c’est donc le monde du pistage à des fins commerciales … Est-ce bien légal ? La réponse est oui à partir du moment où l’Internaute accepte de transmettre ses coordonnées. Il est régulièrement reproché à ces entreprises de se développer au détriment de la volonté des Internautes dont les données personnelles seraient stockées et utilisées sans leur consentement. Pourtant, bien que sensibilisés et devenus assez méfiants quant à l’utilisation de leurs données personnelles, les utilisateurs d’Internet continuent de transmettre leurs coordonnées. Force est de constater que leur consentement est bien réel et qu’ils acceptent sciemment de transmettre leurs informations personnelles. Et c’est ainsi que le lead existe et en toute légalité !
La chasse aux « pigeons »
Le développement de l’informatique dans les années 1970, a donné la possibilité d’identifier des personnes de façon assez complète grâce aux croisements des fichiers personnels. Cela a provoqué quelques remous. En France, l’Affaire SAFARI a été révélée par Le Monde le 21 mars 1974 avec son article intitulé “Safari : ou la chasse aux français”. En sachant ce que signifie l’acronyme S.A.F.A.R.I, Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus, on peut dire que tant le nom de ce système de collecte que le titre de l’article étaient parfaitement bien trouvés ! Ce Safari-là, ne se passait pas dans la savane africaine mais au cœur de la France et tous les citoyens étaient comme des animaux traqués. En effet, c’est un programme initié par le ministère de l’Intérieur français en 1973 qui consistait à croiser tous les fichiers de l’administration française, pour en faire un méga-fichier, et ainsi tout savoir sur tout le monde !!! Heureusement, cette affaire a fait naître la loi Informatique et Libertés de 1978 qui protège les individus ainsi que la Commission nationale de l’informatique et des libertés créée dans la foulée. Elle a aussi déclenché une réelle prise de conscience des mentalités sur les menaces que faisait peser la collecte des données personnelles.
Seulement, les humains ont parfois la mémoire courte … Depuis l’arrivée d’Internet, dans les années 1990, la captation et la valorisation des données personnelles peuvent être utilisées à des fins commerciales. Les données personnelles n’ont plus qu’une valeur administrative, elles revêtent désormais un intérêt communicationnel et économique. Et on s’aperçoit rapidement que les utilisateurs d’Internet transmettent leurs données avec une méfiance très relative et pour le moins paradoxal.
Une ambiguïté indéniable
Aujourd’hui, la plupart des personnes surfant sur Internet sont réticentes à transmettre leurs coordonnées car elles ne souhaitent pas être démarchées commercialement de façon abusive mais elles montrent aussi un comportement ambivalent. Elles peuvent, certes, être très méfiantes mais peuvent, tout à la fois, faire preuve de crédulité face à une escroquerie ou se laisser appâter par une récompense qui répond à l’un de leurs besoins du moment comme gagner un téléphone portable ou un voyage, pouvoir télécharger un livre ou une musique gratuitement … Bien sûr, ça fait envie alors on tente le coup et on essaie de le gagner ce dernier IPhone … On range ses grands principes et on s’inscrit … on ne le dira à personne et personne ne le saura … Seulement, c’est ce qu’on croit … mais au contraire, nombreux vont être ceux qui le sauront et qui vont même en profiter financièrement ! Puisque sans le savoir, on vient de devenir un lead !
Ainsi, il existe un paradoxe flagrant chez les Internautes. Ils ont pleinement conscience des risques encourus à divulguer leurs données personnelles sans pour autant refuser de les transmettre. Leur rationalité paraît limitée, ils mesurent clairement les menaces et souhaitent se protéger mais ils sont quand même enclins à diffuser des informations les concernant pour peu qu’un produit d’appel les séduise. Mais l’humain est-il toujours rationnel quand on lui fait miroiter une récompense ? Certes non !
Et puis, l’Homme aime aussi se montrer et faire parler de lui et pour ça Internet est une aubaine ! Non pas qu’il ne réfléchisse pas plus loin que le bout de son nez ou qu’il vive dans le monde des « bisounours » mais la propension à s’exposer sur le Net est si grande que la divulgation de ses données personnelles en devient presque banale. Ceci peut être à l’origine de son attitude ambivalente. Mais ce n’est pas tout ! Plusieurs enquêtes sociologiques ont montré que le dévoilement de soi sur la toile permet de s’inscrire au sein d’un réseau relationnel qui va contribuer à un sentiment d’insertion sociale. Le fait de ne pas recevoir de messages publicitaires pourrait provoquer une sorte de manque pour l’individu qui considère le Net comme un outil permettant de faire partie d’une communauté. Seulement, pour être membre d’un réseau, il faut s’y inscrire et cette inscription contraint l’Internaute à diffuser un nombre important de données à caractère personnel …
Et voilà comment et pourquoi, habitué à divulguer des informations sur sa vie privée, le visiteur d’un site web, marchand ou non-marchand, va transmettre volontiers ses coordonnées et devenir ainsi un lead qui pourra être monnayé. Tout cela est-il éthiquement correct ? On peut ouvrir le débat mais toujours est-il qu’au-delà des questions éthiques liées au fait de jouer avec les faiblesses des individus, et des protections qu’offrent la CNIL et le récent RGPD, oui, le lead semble bien avoir un avenir devant lui !
Paul Chatton