Nombreux sont les articles qui nous mettent en garde contre les dangers de l’invasion de nos vies par les écrans : la consommation quotidienne de vidéos, le temps passé sur les réseaux sociaux ou sur les jeux vidéo seraient une menace pour notre sommeil, notre équilibre alimentaire et mental, pour nos yeux et nos articulations, etc. Un nouveau facteur d’accusation vient s’ajouter à cette pile : notre vie sexuelle souffrirait aussi de notre indispensable dose quotidienne d’écrans numériques.
Les écrans s’invitent sous la couette
Selon un sondage publié par Wall Street Journal début 2019, environ 25% des 1000 personnes interrogées avaient déjà renoncé à un rapport sexuel pour regarder Netflix au cours des six derniers mois. Autant pour la fameuse expression « Netflix and chill » : il semblerait bien que la possibilité de regarder à tout moment un film ou une série ne favorise pas l’intimité des couples ou les conquêtes d’un soir, bien au contraire !
On parle souvent des dangers pour les mineurs à être exposés de plus en plus facilement à des contenus pornographiques inappropriés et violents et de la possibilité d’instaurer une limite d’âge pour l’accès à ce type de contenus. De nombreuses études démontrent que la consommation de contenus pornographiques chez les adultes n’est non plus pas sans effet sur leur vie sexuelle.
Ces constats ne sont pas isolés : The Atlantic a publié en décembre 2018 un dossier intitulé « Pourquoi les jeunes font si peu l’amour ? », retraçant une large enquête sur la sexualité aux Etats-Unis et soulevant entre autres problèmes à l’origine de cette « récession sexuelle » l’exposition de plus en plus intense aux écrans.
La libéralisation du sexe est passée par les applis de rencontre, la pléthore de contenus pornographiques en tous genres accessible très facilement, l’accès à la contraception et aux informations sur la santé sexuelle. A l’heure actuelle, très peu de personnes s’offusquent devant une vidéo sur les pratiques sexuelles les plus exotiques ou à la lecture d’un article sur le polyamour. Cependant, dans le même temps où les tabous sur la sexualité sont de moins en moins puissants, la génération qui entre dans l’âge adulte fait beaucoup moins l’amour que les générations précédentes.
Expliquer la panne
Une multitude de facteurs est sans doute à l’origine de ce phénomène. Mais celles liées au numérique ont le vent en poupe. Là encore, la pornographie est en première ligne : accusée de proposer une vision déformée et irréaliste du sexe, la pornographie mainstream créerait une dépendance et de nombreux troubles chez ses consommateurs les plus fidèles. Le porno est facile d’accès, ne demande pas d’efforts particuliers ni de dépenses et ne contraint pas à des concessions : pourquoi chercher dans une relation la satisfaction qu’on trouve à domicile ?
Les applications de rencontre ne sont pas en reste : là encore, l’accès cette fois à des rencontres est offert à domicile. La variété de partenaires proposés peut faire penser que le nombre de rapports augmenteraient avec la création de Tinder et compagnie. Que nenni : l’abondance de l’offre cache en fait le peu de rencontres résultant d’un match. Ces applications bouleversent les codes sociaux en rendant la rencontre en apparence très facile mais en complexifiant les approches dans le monde palpable.
L’idée serait que l’attention croissante portée aux différents services proposés par nos smartphones nous détourne de l’effort nécessaire à investir pour entamer et entretenir des relations dans lesquelles un rapport sexuel est envisageable. Malgré de nombreuses idées reçues, la majorité des rapports sexuels ont cours dans le cadre d’une relation stable et durable.
Le phénomène des soushoku danshi, ces jeunes garçons japonais qui s’isolent des rapports humains au profit de leurs écrans illustre que dans certains cas, la facilité du virtuel l’emporte sur les exigences des rapports sociaux.
Roland Kelts, auteur américano-japonais qui vit à Tokyo, y voit “une génération qui préfère la libido virtuelle aux exigences imparfaites ou inattendues des relations avec des femmes”
https://www.courrierinternational.com/article/sexualite-la-grande-enquete-15-pourquoi-les-jeunes-font-si-peu-lamour
Seuls tous ensemble
Le fait que les jeunes adultes n’aient plus autant de relations sexuelles n’est une bonne nouvelle pour personne. En effet, si le nombre de grossesses adolescentes ou non désirées diminue, la baisse de la natalité est à l’échelle sociale un désastre démographique et économique. De plus, cela traduit l’isolement et le manque de relations sociales de certaines personnes. Les incels ou « célibataires involontaires » constituent une communauté très active sur les réseaux comme Reddit ou 4Chan, constituée essentiellement de jeunes hommes qui expriment leur frustration de ne pas avoir de relations amoureuses et sexuelles, notamment au travers leur haine de la gente féminine. Cette haine a entraîné le passage à l’acte criminel d’une poignée d’entre eux, par exemple lors de la tuerie de Toronto en avril 2018. Ce phénomène d’isolement est problématique à l’échelle individuelle en provoquant notamment des troubles psychologiques, mais a donc aussi des répercussions à l’échelle de la société
Les technologies numériques n’ont évidemment pas que des répercussions négatives sur la sexualité. Le bouleversement des représentations qui a accompagné l’émergence et la généralisation de ces technologies a permis par exemple d’améliorer l’éducation sexuelle : les jeunes adultes n’ont jamais été aussi informé sur la contraception, l’avortement, les IST, le harcèlement, etc. Si cette information est loin d’être toujours exacte, cela reste une excellente nouvelle pour l’avenir des relations hommes femmes. Les mouvements comme #MeToo ont permis une prise de conscience sur la question du consentement.
Cette libéralisation prend des formes parfois très positives. Sous l’influence de mouvements féministes, le porno « éthique » et féministe se développe. Le mouvement LGBTQ+ permet de se libérer de la norme hétérosexuelle et de réduire les discriminations. La série Netflix Sex Education est l’exemple d’une représentation diversifiée et positive de la sexualité chez les ados.
Robots et pilules : le sexe du futur
A l’évidence, rien de simple dans le rapport entre sexe et écrans. A l’heure où il est toléré voire encouragé de réaliser tous ses fantasmes, où le sexe est plus que jamais multiforme, les jeunes adultes qui devraient en profiter le plus sont trop paralysés ou trop feignants pour le faire.
Ce que la technologie a fait, elle peut le résoudre diront les plus optimistes ou les technophiles. Parce qu’après tout, si on peut imaginer que des drones viennent remplacer les abeilles pour sauver la planète, encourager les gens à avoir une vie sexuelle saine et épanouissante n’est qu’une bagatelle.
Imaginer un futur où la technologie a encore plus investi la sexualité qu’à l’heure actuelle : voilà l’exercice auquel s’est prêtée Maïa Mazaurette, journaliste spécialiste des questions de sexualité. Publiée sur Uzbek et Rica, sa série d’articles utopiques/dystopiques nous pousse à envisager les bienfaits et les désastres d’une sexualité technologisée et instrumentée. Elle décrit un futur où les robots sexuels seront devenus la norme, où la sexualité ne sera plus corporelle mais désincarnée, ou encore un autre dans lequel les femmes ont pris le contrôle des rapports genrés en notant leurs partenaires sur une application. Le résultat est à la fois divertissant et drôle, mais aussi déroutant et angoissant.
Alors, en ce jour très romantique s’il en est de la St Valentin, on peut prendre cette bonne résolution : lâcher un peu nos téléphones pour faire plaisir à notre Valentin.e.
Par Valentine David